J’ai souvent dit à mon Grand Coco que, de l’extérieur, personne ne peut vraiment savoir ce qui se trame au juste dans un couple. Je me rends compte maintenant que, de l’intérieur, parfois on ne voit pas plus clair. (OK, ça je le savais; je me rends compte que MOI, je ne voyais pas clair; pour citer Fred Caillou, « c’est pire! ») Je lis la fantastique Emma, entre autres jeunes autrices qui peu à peu m’ouvrent les yeux. Je comprends petit à petit que je frôle les extrêmes malgré moi, parfois. C’est un peu comme l’isolement pandémique: tout le monde dit n’avoir vu personne depuis deux ans, mais si on gratte et qu’on cherche, pas mal tout le monde a vu plus de gens que moi (dans mon célibat rural). J’ai eu un confinement plutôt extrême (sans enfants, ça aurait été vraiment terrible).
Prenons, comme autre exemple, le partage des tâches. Disons depuis le déménagement à la campagne, en 2009, et jusqu’en 2021, moment de la rupture finale. Cœurs sensibles, allez lire autre chose…
J’ai toujours eu le revenu principal, même pendant mes congés de maternité, de loin. Monsieur ne travaillait… pas souvent (ni longtemps…). C’est donc qu’il s’occupait des enfants et de la maison, non? En théorie (et ça aurait pu donner de beaux résultats, mais…).
Mais… Non. Je faisais les repas (sauf quelques déjeuners ici et là) et les menus. Je faisais seule les apprentissages en famille (lui faisait des sorties de temps à autre). Je faisais le ménage que je pouvais (le seul qui se faisait: j’ai même réorganisé l’atelier seule… deux fois). J’avais la responsabilité principale des potagers (et des poules; certaines années, je promenais le(s) chien(s) deux fois par jour par-dessus le reste). De la préservation des aliments sous toutes ses formes et des récoltes aussi. De la lessive. Des rendez-vous, même avec des amis (et même des visites de ma belle-sœur, à qui il parlait à peine pendant son séjour). Des projets. De la vaisselle. Des grosses décisions d’achats. Des prévisions du genre tout le monde a-t-il un habit de neige pour cette année? Du paiement des factures. Des abonnements et des commandes. Du compte conjoint, dont il ne connaissait jamais le solde et n’avait pas activé son accès en ligne. Il faisait les courses (en dépassant mes listes), oui, et aussi souvent que possible (une dépense folle en essence quand on est à 25 km d’une épicerie); je comprends maintenant qu’il trouvait là une liberté (être sans nous, et surtout sans moi) dont il rêvait, mais ça ne faisait que creuser l’écart entre nos fonctions et nos personnes.
En hiver, il s’occupait du feu, en automne du bois à corder (je le fais depuis 2 ans, c’est du travail, mais pas tant que ça). En été, il réalisait quelques petits projets sur le terrain, à ma demande ou à mon insistance. Il arrosait les potagers, quand il le fallait vraiment. Oui, il s’occupait des enfants, surtout quand ils étaient très jeunes (sauf que j’ai allaité mes deux loupiots 3,25 et 3,75 ans, donc ça limitait un peu les soins à leur donner), mais les dernières années, la question que mes loupiots me posaient le plus souvent était… où est papa? Et c’était généralement dehors. Assis. À regarder dans le vide ou à faire un feu pour le plaisir. Ou devant une fenêtre, à regarder qui passait dans quel véhicule (ne jugez pas, c’est un passe-temps campagnard fréquent… pas que je le comprenne, mais c’est comme ça). Les règles, la discipline? Moi, encore. Le coucher des enfants, systématiquement moi. Quant à l’entretien de la maison, aux travaux dont elle a grand besoin? Rien. J’atteignais là mes limites, à moi (il ne reste plus de temps, un moment donné, ni d’énergie ni d’argent), et lui ne semblait rien voir, ou s’il le voyait, il n’agissait pas. Se murait dans un silence que je ne qualifierai pas, n’ayant même pas assez d’éléments d’information pour formuler une hypothèse.
Ça n’a évidemment pas toujours été comme ça. Mais les choses ont glissé, glissé, glissé. C’est fou (FOU et malsain!) ce qu’on peut finir par accepter. La petite misère dans laquelle on se met (ou on se laisse mettre), progressivement. L’usure ordinaire qu’on peut accepter au quotidien sans même penser que quelque chose cloche. Parce que je suis capable d’en prendre. Que je suis femme et (donc?) forte. Parce que j’ai de l’énergie, des ressources. En avoir eu moins, j’aurais peut-être réagi. Impossible de le savoir. Y a des gens résilients qui, comme moi, encaissent longtemps (toujours: j’aurais continué sur la même voie TOUJOURS! Je le souhaitais obstinément!). Même pas en silence: je ne voyais même pas à quel point tout reposait uniquement sur mes épaules. Tout ça pour quoi? Pour une famille nucléaire, une relation stable à très long terme. No matter what. Ouf.
Ça vous explique peut-être pourquoi (et comment) je réagis quand on me dit, avec compassion, que je ne peux pas tout faire toute seule (ah non? On gage combien? Parce que oui, y a un prix à payer…).