Il y a quelques années, grâce à un concours de circonstances et à un ami, j’ai eu l’occasion de participer à un atelier d’une journée sur l’alimentation crue. Y avait là des choses bien intéressantes… et d’autres… mais le contexte étant ce qu’il était, tant d’information étant transmise et mes mains étant bien occupées, j’ai un peu gobé tout en vrac, pas juste le cru mais ce qui était dit aussi. Résultat, je suis revenue chez moi avec l’idée que le jus d’herbe de blé allait faire de nous des gens en meilleure santé. J’y avais entendu un «fait» voulant qu’une once de jus d’herbe de blé contenait l’équivalent en vitamines et minéraux d’un kilo de légumes verts ou quelque chose du genre (c’est une affirmation facile à trouver en ligne… comme celle voulant que la chlorophylle requinque le sang à cause de sa ressemblance à l’hémoglobine, bla bla bla). Wow, quelle aubaine, surtout en hiver, hein! Hop: achat d’accessoires pour le batteur sur socle (c’est pas facile à transformer en jus, de l’herbe de blé, ah non! Essayez de presser du gazon, pour voir!), de graines, préparation d’un plateau à semis, j’ai vite mis le projet à exécution.
Et si ça vous intéresse, sachez que c’est facile à cultiver, de l’herbe de blé. On fait tremper les graines 12 à 24 heures, puis on en couvre un peu de terreau. On place par dessus un carton ou un morceau de bois pour bloquer la lumière, et quelques jours plus tard les pousses vont le soulever (impressionnant mais vrai!). Suffira ensuite de laisser pousser et verdir à la lumière et de couper une première fois, puis de laisser pousser avant de couper pour une dernière fois. On composte le terreau plein de racines, pas plus compliqué que ça, et les photos vous illustrent le résultat.
Là où le projet a finalement déraillé côté jus d’herbe de blé chez moi, c’est quand, pleine d’enthousiasme (que dis-je, de chlorophylle!), j’ai voulu vous parler de ça ici (vous aussi pourrez avoir le teint vertradieux! Demandez-moi comment!). Parce que là, minute. Avant de dire des trucs extraordinaires, je fais mes recherches. Pire: je sais faire de bonnes recherches et j’exige des sources crédibles, ouille… Cette fois-là, j’ai vite déchanté. Ça avait l’air trop beau pour être vrai dès le premier paragraphe, hein? Bingo! Voyez-vous… rien ne prouve cette histoire d’équivalence avec les légumes verts, rien de rien. A-rrrrien! C’est un de ces cas où des gens convaincus répandent la bonne nouvelle… mais sans aucune preuve que leur propre niveau d’énergie, décuplé depuis qu’ils ont découvert le jus d’herbe de blé (et des gens convaincus, ça a plein d’énergie et… ça achète ben des bébelles…). En fait, les études scientifiques ne trouvent pas grand chose dans ce liquide vert, côté nutrition.
J’ai arrêté de dépenser de l’énergie à me faire des accroires, et personne ici n’a senti sa santé dépérir. Si maintenant j’en fais pousser, de l’herbe de blé, c’est parce que j’ai à la fois des graines, un terrain qui se prépare pour l’hiver en supprimant son vert, et… des poules. Les poules aiment manger ce qui est vert et je m’apprête à leur offrir le premier d’une série de petits tapis de verdure à déchiqueter, explorer et consommer. Je ne leur ferai pas croire que c’est plein de vitamines: je constaterai de visu leur bonheur d’assouvir leur curiosité et leur appétit. Et de déchiqueter le tout en se chamaillant joyeusement. Vous devriez voir et entendre Coco, le petit coq, quand il trouve un morceau succulent et le dit aux poulettes en espérant les attirer! (Un tiers du plateau leur a été livré, et je n’en dirai que ceci: 9 poules et coqs qui voient un tapis vert sortir de la maison, ça s’excite et ça observe jusqu’à son arrivée, et alors ça s’agglutine tout autour pour savourer. Et ça trouve chacune et chacun leur place tout autour!)
Mes recherches faites, je n’ai jamais écrit de billet sur l’herbe de blé, même si j’avais commencé un brouillon. C’était en 2013, et depuis j’ai rajusté le tir, mon tir personnel, rendant mon opinion et mes croyances plus informées, plus… justifiées et rationnelles*. Oui, ça veut dire me tourner vers le scientifiquement prouvé et l’éprouvé (un exemple? Les vaccins sauvent des vies depuis plusieurs décennies, et non ce n’est pas l’amélioration des conditions d’hygiène qui a fait le travail, historiquement: ce sont bien les vaccins. Mal m’en prit de dire ça sur Facebook, où ça a généré tout un débat. Un débat sur des faits bien établis… ouf.). Donc désespérer un peu en lisant des trucs déraisonnables en ligne (le jus d’agave, de grenade, de perlinpinpin peut bien tuer une cellule cancéreuse dans un machin de Petri, oui; ça ne prouve rien, puisque pratiquement n’importe quoi y réussit, le côté difficile étant de traiter la cellule cancéreuse dans un corps humain vivant… qu’on garde vivant — mais c’est dangereux de répandre ces niaiseries, parce le cerveau humain s’accroche à ces faussetés, les classe dans son tiroir de la mémoire, et ensuite c’est pas évident de se dépêtrer les neurones) et m’inquiéter du manque d’esprit critique de gens que pourtant j’aime et respecte (nous en sommes tous coupables de temps en temps; ne vous en faites pas: je ne tiens pas de palmarès non plus!).
Ça me dérange d’être mise dans le même sac d’inepties parce que j’ai certaines façons de voir les choses (m’étant informée…), parfois. Ce n’est pas parce que j’ai accouché naturellement, en maison de naissance, que je crois à l’astrologie (le choix d’un suivi sage-femme a été très rationnel pour moi, et c’était le bon pour mes deux accouchements, dans mes circonstances concrètes [mon choix aurait été différent si mes circonstances avaient été autres, ce n’est pas un dogme!]; et il est prouvé que le suivi sage-femme a de grands mérites pour la femme, le bébé, leur famille… et le système de santé en entier). Ce n’est pas parce que je fais pousser le plus possible de nos aliments que je gobe des produits homéopathiques (ah ben en y pensant, ça m’arrive! Ben oui: quand je cisèle des fines herbes dans un verre, que je rince ce verre à l’eau, que je le vide et le re-rince une centaine de fois [ben quin] avant d’ensuite boire cette eau, c’est de l’homéopathie! Des fines herbes homéopathiques! Je blague, là, mais ça ressemble à la recette de l’homéopathie!). Pas parce que je crois aux bienfaits de l’allaitement (prolongé, en plus! et à la demande — mais là souvent les gens ne comprennent pas ce que ça signifie) que je jardine selon le calendrier lunaire (qui a un avantage, cependant, qui est de concentrer l’attention du jardinier… sur le jardin! On peut y arriver sans fausse croyance aussi, pourtant). Si vous croyez que de l’eau peut être «dynamisée» en la faisant tourner d’un bord puis de l’autre (pendant x minutes, toi…) ou qu’une corne contenant du fumier enterrée deviendra pratiquement magique (c’est au niveau énergétique que ça se passe, ça a l’air; comme le reste du charlatanisme, ça fonctionne mieux… si vous êtes convaincu. Amen!)… y a des chances qu’on se comprenne pas (en fait, il y a de bonnes chances que je ne dise rien… mais vaut mieux que je me taise, parce que déjà je dois me concentrer pour ne pas vous regarder avec un air très-très-très éloquent…) et il est certain que je ne paierai pas plus cher votre produit pour le temps que vous avez, je ne sais pas, moi, par exemple passé à chanter nus sous la pluie avec des bâtons en tournant autour d’un menhir dans le sens des aiguilles d’une montre. Et pourtant? Le foutu jus d’herbe de blé. Je l’ai cru et gobé! Mea culpa, mais j’en ai tiré plusieurs leçons. Aussi, si vous voyez des trucs à saveur ésotériconouilles ailleurs sur le site, dites-le-moi: ce sera à modifier ou à étoffer, selon le cas, et ça améliorera mon espace mental. Appelez-moi la Campagnarde sceptique ou la Sceptique campagnarde: comme vous voudrez!
Trois ans plus tard, l’herbe de blé est destinée à mes jolies poulettes et à mes beaux coqs. Et l’alimentation crue? Ça, je n’y ai jamais adhéré en totalité. D’abord, ça coûte un prix de fou ces temps-ci, parce que c’est souvent plein plein de noix et d’amandes et de graines (miam oui, mais $$). Ensuite en hiver, on ne me convaincra pas qu’un faux pâté chinois froid aux avelines et légumes crus (qui prennent beaucoup de temps à préparer, en plus) rassasiera un bedon autant qu’un ragoût qui a mijoté et qui réchauffe le corps entier (et la cuisine en prime!). En été, ah, c’est différent. Mais pas besoin d’appeler ça crudivorisme ici: on appelle ça… des repas d’été!
Je vous laisse avec trois liens. Le Petit cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon, qui devrait être une lecture obligatoire annuelle pour tout le cours secondaire et au-delà, et le Pharmachien, dont le ton ne plaît pas à tous, mais qui a l’avantage d’être vraiment rigolo… pour les autres. Ensuite pour ceux qui lisent en anglais, le blogue d’une ancienne naturopathe qui met maintenant en lumière certains dangers et dérapages de l’industrie des médecines dites douces.
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*Le pire c’est que j’ai la chienne de publier les paragraphes qui suivent, c’est quand même fou. On a élevé la croyance et l’opinion au rang suprême et des faits (des énoncés factuels!) deviennent matière à polémique. M’enfin j’y ajoute des liens pour ne pas avoir l’air de parler en l’air, mais faites vos propres recherches et ne croyez pas que les miennes se sont limitées aux liens que voilà.
C,est pas avec moi que tu vas te chicaner là dessus! Les deux lectures en français sont deux favoris pour moi (même si j’ai jamais lu Baillargeon, je l’écoute avec religiosité à la radio). Love!
Il écrit une chronique dans Québec Science aussi, du bonbon (santé!) pour le cerveau! Pis on se chicane pas ben gros, tsé. 😉
Ton billet c’est du bonheur à lire!
J’ajouterais simplement (tsé histoire de de brouiller l’affaire encore plus) que c’est pas parce que la science ne le prouve pas que ça n’existe pas! Ça peut juste être qu’elle n’arrive pas à le prouver point avec les moyens dont elle dispose au jour d’aujourd’hui ou que ça n’existe pas! L’un ou l’autre quoi!
Dans le doute moi je dis ben tsé si tu veux en manger de temps en temps de l’herbe de blé parce que t’aime ça ou que t’en as le goût, ben why not peanut?
Dans mon cas, je dirais qu’à défaut de savoir (ou trouver la vérité) je préfère m’en remettre à la diversité en tout genre et tout point de vue!
Mais comme on dit, comme tu dis « ça c’est moi, un autre peut penser autre chose »
😉
tchin!
Ah oui bien sûr la science a ses limites, qu’elles soient temporaires ou pas. Et oui ceux (comme nous!) qui aiment la saveur n’ont qu’à continuer (mais vu la complexité de l’extraction, franchement (le bruit, l’électricité)… Je me suis gâtée dans un buffet de brunch récemment, et j’ai été contente d’avoir une once de ce jus sans effort, c’est tout). Buvez-en, mais… c’est encore meilleur sans illusion, je trouve! Du jus franc! 😉
Par contre, je trouve que les croyants (peu importe leur foi) utilisent pas mal trop cet argument des limites de la science parce qu’ils rejettent ses conclusions fondées (qui vont contre leur foi). Un atome de produit dans une bouteille d’eau qu’on jette avant de remplir et de vider la bouteille, c’est pas la science qui atteint sa limite quand on ne trouve pas que la «solution» (euh, l’eau!) ne contient pas de produit actif, c’est simplement qu’y a rien à trouver. M’enfin. (Essaie de me faire croire que tu me sers du vin quand tu as rincé ma coupe 30 fois à l’eau, voir si je vais revenir quand tu vas me réinviter! hahahahahahahaha! ton «tchin» m’a fourni l’exemple!)
Je dirais que dans le doute… doutons. Ah mais l’ambivalence, c’est pas tout le monde qui supporte ça (lecture fascinante récente à ce sujet, un livre qui s’appelle Nonsense mais qui aurait pu s’appeler ça, Ambivalence).
TCHIN! 🙂