À Noël quand j’avais environ 8 ou 9 ans, j’ai reçu mon cadeau rêvé: une belle boîte de pastels à l’huile. J’en voulais tellement! C’était ma fourniture d’art favorite à l’école, je ne voulais dessiner qu’avec ça. Et je dessinais beaucoup! Eh bien… j’ai encore la boîte. Et les pastels. Aucun n’est usé jusqu’à disparaître. Parce que j’ai eu peur. Peur de ne plus en avoir si je les utilisais. On m’a tellement inculqué l’importance des choses, leur valeur, leur prix, leur caractère fongible (j’adore ce mot [définition du GDT: Se dit des choses qui se consomment par l’usage et peuvent être remplacées par une chose analogue])… que j’ai au fond de moi une peur immense de manquer. Manquer de quoi? De tout, parfois. Manquer d’air, ma phobie. Mais manquer de ce que j’aurai utilisé, de ce dont j’aurai profité, c’est… j’allais dire c’est ridicule, mais je dirais plutôt c’est… un frein.
Et ça mène à une accumulation. De choses, de bébelles, de gugusses. De projets entamés puis abandonnés — mais pas élagués, oh non! conservés dans un état inutilisable ou presque. Et ça finit par être lourd, tout ça. Et poussiéreux. Je jette, je donne, je recycle, je récupère. Mais je laisse encore entrer. Les choses… et leur poids.
Ce n’est pas que je vise la simplicité volontaire. Mais ai-je vraiment besoin d’un présentoir pivotant pour mettre en valeur des articles que je ne vends plus… dans un kiosque que je ne tiens plus? Le mot crucial ici: besoin. Et si un jour j’en avais besoin? Il y a plusieurs articles dont je me suis défait un jour pour m’en mordre les doigts ensuite. Mais rien de vital. Je me dis que je vais m’en débarasser… puis je bloque. La peur, encore. Parfois, conserver finit par devenir une bonne idée. La Puce est bien contente d’avoir, en plus de ses marqueurs et crayons, tous ceux que j’ai gardés du temps où chaque année j’achetais de nouvelles fournitures scolaires pour le Coco. Sur une partie des nombreux crayons ici, on voit encore le nom du grand frère, soigneusement collé par… devinez qui, un peu. C’est fantastique, ça: les crayons sont utilisés jusqu’à la toute fin de leur vie utile (parfois plus longtemps encore), et le grand en fait profiter la petite, c’est parfait. Parfois, je peux justifier mon choix de garder, de conserver. Mais ça n’explique pas les magazines que je trouve, qui datent de 2009. Mother Earth News, ça va: ça ne perd jamais de sa pertinence, ça se lit comme un trésor de référence. Mais le reste, ouf… j’en ai, des cochonneries (non, mes jarres à biscuits n’en sont pas. Mais j’en ai deux autres dans un placard…).
Une chose à la fois, un placard, un tiroir à la fois, je réussis à lâcher prise. C’est pas ça, le bobo. J’arrive à être réaliste: vais-je ou non réutiliser, relire, trouver une utilité…? (Je parviens aussi, facilement, à conclure qu’en cas de feu ici je remplacerais à peine une fraction de tout ce qui pourrait partir en fumée. Sauf que j’aimerais mieux élaguer sans flammes, merci!) J’arrive moins à trouver le temps de passer à travers l’ampleur du problème (entre une fillette qui galope vers la littératie et un bébé qui rampe en champion, le temps tranquille dans un fouillis malpropre est compté; pire encore, ma fille aussi voudrait tout garder, et elle pourrait me convaincre!). Il le faut cependant, pour ma santé mentale. Je veux posséder moins et voir ce que j’ai, pour le rendre utile ou lui faire prendre le bord. La peur de manquer est paradoxale: j’accumule pour ne manquer de rien, mais à force d’accumuler je me sens étouffer, je sens que c’est d’air que je vais manquer!
Un de nos amis voyage depuis plus d’un an. Il travaille sur la route, mais son bureau et ses possessions tiennent dans son sac à dos, ou à peine plus. Récemment il a même pu compter ses possessions (143!) et se prendre en photo avec celles-ci… et pourtant on voyait encore le sol tout autour et entre ses choses. Pour faire la même chose ici, le plus simple serait de louer un hélicoptère pour prendre une photo aérienne du terrain. Quant à compter… je m’en passerai! Mais l’exercice est fascinant. Toute une réflexion sur les besoins et l’essentiel. Or justement (autre paradoxe!), la notion de besoin est importante pour moi.
Or mes besoins sont… peut-être parfois différents de la norme. Quand ma grande amie rénove sa cuisine (ça va bien aller, Chantal!), mon esprit vagabonde, évidemment! Et moi, si je le faisais, qu’est-ce que je choisirais? J’y pense un peu, mais rien ne m’emballe… parce que ce n’est pas un besoin que je ressens (si j’avais sa cuisine, oui, par contre: mais ici la maison a été choisie en grande partie par mon coup de foudre pour la cuisine! Et elle n’a rien d’une cuisine de magazine, parce que de ça, je ne sens aucun besoin [fiou]). Je me contente aisément de vieux plutôt que de neuf. De ce côté, ça va. Ce n’est pas un problème de convoitise, mais de lâcher-prise. Pas une question de vouloir des bébelles, mais de ne pas pouvoir les laisser partir (voire de ne pas refuser leur arrivée). Faudrait que j’apprenne à vivre en pensant abondance plutôt que manque. Pourtant j’ai tendance à avoir confiance, à me dire que tout va finir par s’arranger: on pourrait croire, de loin, que je sais que des pastels à l’huile, ça peut se racheter!
Je ne franchirai pas ce pas, mais il n’y en aurait qu’un à faire pour dire que tout ça est quasi épigénétique. Ma mère a grandi avec rien (ou presque) qui soit à elle, vraiment à elle. Les jouets étaient imaginaires ou imaginés (prenez une lavette, faites-en une poupée; prenez une étable de vaches, devenez leur professeur!). Et manifestement j’en ai eu (c’est générationnel) plus que mes parents réunis (comme nos enfants en ont bien trop). L’histoire m’a marquée, c’est certain. Et la répétition, l’insistance, de mes parents sur l’importance, la valeur de chaque chose.
Maintenant? Je travaille fort là-dessus. Parce que ma fille utilise un quart de feuille (le verso d’une feuille imprimée, quand même) avant de dire qu’elle en a fini. Parce qu’elle n’a aucun remord à mettre quatre autocollants sur une feuille et à dire ensuite que l’oeuvre est achevée (moi? moi je gardais mes autocollants en collection, vous pensez!). Que pour elle, si un crayon n’écrit plus, on fait comme a dit maman, on le jette. Bref elle est… normale. Bien sûr, je ne veux pas la voir aller trop loin dans le gaspillage; bien sûr, je ne la laisse pas traiter les aliments de la même manière. Mais! Mais elle n’a pas ma peur, et ça, c’est bon, parce que parmi ce que je veux lui transmettre, on n’en trouve pas, de peur. Et le meilleur moyen de ne pas lui donner ce cadeau empoisonné… c’est de m’en départir. J’y travaille.
J’ai le meme problème. Mais je me soigne aussi par les enfants. Les autocollants, je les collectionnais, comme c’était précieux. Les papiers à lettre, soigneusement placés dans des albums photos, que j’ai enfin réussi à laisser aller en les donnant à ma fille. Je leur donne tout, je jette les crayons brisés avec un sourire en coin, en sachant que ça avait été pour moi, ce crayon là, je l’aurais gardé jusqu’à ce qu’il ne puisse plus laisser la moindre trace sur le papier. (Émile a tenté d’aiguiser un feutre neuf, cette semaine. Zoup! À la poubelle!) Les au cas-z’ou peuplent la maison, et leur fantômes habitent sur mes épaules, pesant de tout leur poids invisible sur mon corps déjà fatigué.
Ça vient de la même place, hein? Une enfance non aisée, disons (j’ai pas souffert, mais j’ai compris des choses bien plus tard, aussi). Pauvres tites filles, ça va être correct plus tard, croyez-nous! 🙂
De l’enfance, mais surtout de mes parents. Ma mère dont les parents sont ultra économes (heureusement parce qu,à 86 ans, ils sont encore tous deux en vie et vivent depuis plus l’ongtemps sur l’argent de la retraite de mon grand-père que le temps entier de sa carrière de pompier) et qui gardaient tout pour ses activités scoutes, pour sa garderie, le fameux au cas-z’ou. Mon père, qui aime s’acheter des choses à lui, qui a déménagé sa boite de vinyle disco dans sa voiture parce que c,est trop fragile pour les déménageurs, qui a versé une larme sur sa collection de figurines de schtroumfs et de bd de boule et bill quand ses enfants sont arrivés pour tout casser. Mon père aussi, qui a jeté cette semaine des relevés d’emploi de 1989 parce qu’il déménage. Donc pas l’enfance tant que les habitudes familiales. Et les scouts, qui emmènent à voir une aventure possible dans chaque bouts de carton qui traine.
Z’ont bien raison, aussi, mais dans une période de surconsommation, c’est trop d’aventures pour une seule vie, là! 🙂
J’ essaie moi aussi de moins en moins garder donc à la base moins acheter. Ça fait aussi moins de ménage!
As tu lu le livre « En as tu vraiment de besoin » ? En te lisant je pensais que ça finirait avec cette référence. Très bon livre qui parle vraiment du même sujet.
Bon… objectif 2017. Trouver une facon de mettre mes spectacles d enfants sur vhs en pormat numerique pour pouvoir me débarasser de ma boite de vhs ainsi que du vidéo!!
J’ai vu passer ce livre, mais malheureusement pour lui, je me suis dit (et c’est rare pour un livre!)… que je n’en avais pas besoin! Oups, problème de marketing là! 😛
Pour moins acheter, une solution facile est de déménager en région. L’offre est simplement… pas là. Donc ça aide! Hahahaha! 😉 Mais ici la solution a eu un double tranchant: on s’est fait donner plein plein plein de trucs!
Bonne chance pour les VHS!
Même combat.
Même pas l’excuse d’une cause explicative!
😉
Superbes tes crayons !!! De mon côté cest ma boîte de prismacolor que j’ai sortie et qui est utilisée par mon gars:):):) mais pour ces crayons je mets des règles ( comme celles que j’avais quand j’étais petite et que j’utilisais ceux de ma grand-mère. Les remettre dans la boite et ne pas jouer avec car ça se casse. Aujourd’hui je suis heureuse car ils servent et s’usent:):):):):. J’ai acheté une boite à ma mère pour Noël cette année 🙂
Je suis fétichiste pour les Prismacolor! J’ai MA boîte et elle m’est réservée (et hors de portée!). Mais bon hein mes vieux et ceux du Coco sont dans le(s) paquet(s) de crayons de ma fille… et plus tard elle aura sa propre boîte (ma première grosse je l’ai eue à la fin de ma 5e année!). Je me souviens que quand je finissais un crayon (le rose! le rose!), mon père allait chez Pilon et m’en achetait un autre avec le bon numéro dessus. C’était un énorme trésor, ce crayon tout neuf. Vu comme ça, c’est positif: j’appréciais vraiment chaque petite chose. (Tandis que pour ma fille, bah tsé y en aura toujours d’autres… ouf, ça je trouve ça épouvantable!)
C’est un beau cadeau de Noël, des Prismacolor! Je sais 2 cadeaux que tu vas offrir, et les 2 sont des outils créatifs: j’aime ça! 🙂
Quand j’avais 5 ou 6 ans, je fantasmais sur le crayon de couleur à mine rouge de mon cousin. C’était un rouge que je n’avais jamais vu, et que je n’ai jamais retrouvé par la suite. C’était entre carmin, cramoisi et rouge d’Andrinople. Je rêvais de faire des dessins monochromes, des camaïeux de rouge… Quand mon cousin repartait, après un mois de vacances chez ma grand-mère, je m’introduisais chez elle pour une fouille en règle dans l’espoir que le crayon ait été oublié quelque part. Au fur et à mesure que les congés s’accumulaient, le crayon rétrécissait. Jusqu’à disparaître. C’est peut-être de là que m’est venu un insatiable désir d’accumuler des « choses » justement, dans la disparition de cet objet tant désiré. Quand à mon psychanalyste, il a vu autre chose dans le le crayon à mine rouge de mon cousin. Pas besoin de faire un dessin, ni en noir et blanc, ni en rouge !
Hahahahaha, mais… Sometimes a pencil is just a pencil, comme y disent! 🙂