Retour en arrière. Début mai, des amis sont venus nous aider à peinturer et à nettoyer. Mi-mai, déménagement. Des amis nous ont visité. D’autres sont venus depuis (on a même eu de la grande visite de Hong Kong, faut le faire (et faut prendre une photo pour en avoir la preuve!)). J’adoooooore faire faire le tour du propriétaire! Bon, je prévois aimer le faire de plus en plus à mesure que nos projets se concrétisent et que nos trucs trouvent leur place, mais peu importe pour le moment, puisque tout le monde comprend que nous sommes en plein processus. Et justement, après c’est grand, le commentaire qui revient invariablement chez nos visiteurs, c’est ouhlala que vous avez du travail à faire ici! Eh bien… oui! On m’a dit que je m’étais acheté de l’ouvrage et que nous étions devant un projet de vie. Oui, et oui! (Ensuite ceux qui ont l’âge de nos parents font toujours un commentaire du style vous êtes jeunes, vous êtes capables, qui me fait me sentir épuisée parce que je sais que j’ai déjà eu plus d’énergie…)
Enfin, tout cela est vrai, et je crois que plusieurs de nos amis nous trouvent un peu fous. Pourtant… quand mes parents ont fait leur retour à la terre, ils ont acheté un terrain où il n’y avait rien. Je n’ai pas comme eux à me laver au lac au mois d’octobre ou à agrandir la cabane qui a remplacé la tente et deviendra maison (et chaque jour j’y pense et je me dis ouf). Mes grands-parents maternels, eux, cultivaient une terre qui appartenait à une communauté religieuse, comme des serfs du Moyen Âge, et ont eu onze enfants. Ma grand-mère barattait son beurre, et pas pour le plaisir: par besoin! Et elle n’avait pas de réfrigérateur… Alors moi, avec ma cheminée à faire réparer (mais l’autre qui est en parfait état) et un plancher à faire faire dans une chambre, je sais que je n’en ai pas tant que ça sur les bras.
Quand je rêvais de campagne, mon désir/besoin était à la fois négatif et positif. Négatif au sens où je voulais évincer de ma vie des tonnes d’irritants liés à la ville. Les voisins bruyants ou stupides (j’en avais une qui parlait au téléphone dehors en tenant le téléphone à bout de bras, vous voyez le genre?), le bruit, l’air pollué, le béton, l’humidité étouffante, alouette. Positif au sens où je souhaitais activement me trouver entourée de nature, cultiver nos légumes, composter, jardiner, marcher, etc. Je ne me suis jamais vraiment arrêtée à la charge de travail. Je n’y ai pas vraiment pensé, même si je savais d’expérience qu’habiter une maison a peu à voir avec habiter un appartement. Il faut dire aussi que vous lisez quelqu’un qui a fait de nombreux collages formés de plus de 900 petits carrées coupés et collés individuellement… pour le plaisir et la beauté de la chose (C’est bien plus beau lorsque c’est inutile). Une folle, quoi. Ou enfin, quelqu’un qui ne pense pas trop à l’effort et beaucoup au résultat. Alors voilà: oui, notre projet campagnonard est épuisant. Quotidiennement. Et soyons franc, nous ne faisons pas encore le quart de ce que nous devrions (citadins empâtés, nous devons d’abord nous renforcer!). Toute aide est fort bienvenue (et c’est quand j’y pense que je me sens moins jeune, parce qu’avoir été en mesure de réaliser notre rêve dans la vingtaine, nous aurions vu accourir plus d’amis jeunes, enthousiastes et rigolards que maintenant, quand tous ont leurs propres épuisements et leurs propres enfants!), mais elle vient peu. Je ne m’en attriste pas: je n’ai jamais attendu qu’on fasse quoi que ce soit pour moi!
J’en arrive à ces réflexions, et je m’étonne, au fond, non pas de ma trajectoire, mais du parcours moyen, normal, ordinaire, qu’on attend de nous, qui comporte au fond bien peu de labeur. Un travail, oui, mais ensuite on profite, on relaxe, on jouit dans l’oisiveté ou la semi-oisiveté. c’est normal et donc perçu comme bon. On ne s’attend pas à ce que les gens quittent volontairement une situation facile pour une situation exigeante. On s’en surprend. Pourtant je ne vois pas tout ce que nous avons à faire comme un fardeau. Il faut le faire, faisons-le! Pourquoi s’en faire et se sentir crouler sous les tâches? Une chose à la fois, suivie d’une autre. Ça suffit et ça fonctionne. Je dois maintenant apprendre à vivre en parallèle lorsque nécessaire: des amis nous ont récemment visités, et c’était pour eux une fin de semaine de repos. Moi? Je me reposais avec eux, mais je me rongeais intérieurement les ongles de ne rien faire, de ne pas faire avancer les choses. Nouille! Il suffisait de les laisser relaxer et d’aller de mon côté m’occuper de ce que je laissais en plan, c’est tout! J’apprends. Et puis tenez, c’est ça, la clé: comment m’arrêter aux douleurs du labeur ou au découragement devant nos lacunes énormes (le savoir se perd de génération en génération et ça me fout la trouille) quand chaque jour j’apprends, j’apprends, j’apprends? Au fond, je n’ai pas de plus grand plaisir.