On m’a demandé ce que je pensais du projet de loi sur la laïcité. Je ne sais pas pourquoi; il semblerait que l’on doive avoir une opinion sur tout… ah bon. J’ai eu peu éludé en disant que je suis aveugle à ces signes-là, moi. La personne qui me parlait aurait pu avoir une petite croix sur une chaîne au cou, je ne m’en serais pas rendu compte tant qu’elle n’essayait pas de me convertir. (Si quelqu’un veut me convertir, alors bonne chance. Aussi bien vous exercer sur un mur, ça sera plus facile.)
Et quand je pense qu’au Royaume-Uni une policière peut porter un foulard ou un enseignant une kippa, eh bien… je préfèrerais ça, une société laïque comme la nôtre, mais respectueuse des droits individuels. Qu’on cesse de s’énerver avec l’apparence. Ah oui, je sais, il y a un message dans cette apparence. Mais au lieu de voir un message individuel, au lieu de voir chaque foulard, chaque croix, chaque kippa, chaque symbole comme formant un message individuel, je vois le message global. C’est-à-dire qu’au lieu de penser «ah elle porte un foulard: elle est donc xyz», je ne m’attarde pas au message individuel, mais au message d’ensemble: «ah, elle porte un foulard, il porte une kippa, et lui une croix: nous vivons donc dans une société tolérante!» Franchement, votre religion, vos croyances, je m’en fiche, et j’espère que vous vous fichez des miennes. Je ne les affiche pas, vous les affichez? Pour moi, c’est un choix et il est légitime*.
Et puisqu’on parle sans cesse des élèves et des enseignants, cette loi devant s’appliquer à ces derniers, eh bien j’aimerais (on peut rêver) qu’on cesse de prendre les enfants pour des idiots. L’enfant passe un temps fou avec les enseignants, et il les juge selon ce qu’il voit et vit, selon les liens tissés et la relation établie, et ça va bien au-delà d’un symbole. La plupart de mes enseignantes étaient de culture sinon de confession catholique. Pis? Ça ne m’a pas rendue catho. Ah, mais j’ai fréquenté une école primaire très multiethnique… et j’ai appris implicitement la tolérance de la différence de tous (c’est plus compliqué qu’adopter une loi, ça, mais… c’est plus que du bonbon, aussi!). Et donc… je ne vois pas quel problème** on veut régler avec ce projet de loi. À part, encore et toujours, la peur. (Qu’on envenime au lieu de régler. Qui ne sera jamais une bonne base juridique… ni une bonne raison de voter pour un parti, en passant.)
L’autre chose que je pense de ce projet de loi? Je ne veux plus jamais entendre ces mots atroces que j’ai trop entendus récemment: c’est pas un Québécois, lui. S’il vit au Québec, travaille au Québec, a des enfants au Québec – et parle (ou baragouine) français en plus? S’il choisit de vivre au Québec? C’est peut-être un néo-Québécois ou un Québécois né ailleurs, un Québécois de première génération, comme vous voulez, mais je n’accepte pas qu’on dise, par préjugé et rejet puériloméprisant, que quelqu’un n’est pas Québécois. L’identité québécoise s’assume à la première personne: elle ne se refuse pas à la troisième. Et ce projet de loi-là envenime ce discours déjà malsain.
*Comme par hasard, la Charte des droits et libertés dit la même chose… et ce n’est pas en intégrant la disposition de dérogation dans la nouvelle loi que la CAQ va s’en sortir, oh que non (voir à ce sujet ce texte… que j’ai traduit). Même qu’au lieu de ce projet de loi-là, je proposerais un grand chantier éducatif… pour intégrer une formation en droit dans le programme de l’école québécoise, et ce, dès le primaire – ça nous manque cruellement (lire: on se fait fourrer de tous bords, tous côtés, et ça fait l’affaire de ceux qui ne mettent pas notre droit au programme de l’école québécoise, entre autres). La protection des droits individuels est un fondement de notre vivre ensemble, et le texte de Martin Niemöller (tiens tiens, un pasteur!) me vient à l’esprit:
« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
Selon Wikipédia, c’est la traduction officielle.
**Il devrait y avoir une norme à respecter pour adopter une loi, il faudrait exiger du gouvernement qu’il prouve dans une certaine mesure le bien-fondé de ses gestes (par des données probantes scientifiques, quand c’est pertinent). Une telle exigence aurait pu éviter la criminalisation du cannabis (mesure raciste et ignorante à l’époque, adoptée par racisme et ignorance!), entre autres. Que d’encre et de postillons on aurait évité de gaspiller…