Savez-vous qu’en y pensant un peu je me rends compte que ça fait trente ans que je fais de la photo? Il y a trente ans, j’ai reçu un appareil (35 mm évidemment) en cadeau. C’était tout un événement (rien à voir avec ce que ça peut être maintenant pour un enfant qui joue déjà tous les jours avec une tablette numérique, disons). Mieux: c’était un grand privilège! (Que reste-t-il de cette notion et qu’a-t-on évacué avec elle, je me le demande parfois) En trente ans, j’ai eu et aimé de nombreux appareils. Plus de 35 mm (et que j’ai aimés avec plus de passion, vraiment) que de numériques. Et j’ai vécu le passage, de la pellicule argentique au rare et cher numérique jusqu’à l’ubiquité (ce n’est pas parce que je n’ai pas accès à Instagram que j’en ignore l’existence, pardi!). Cette ubiquité, justement, me rebute. J’ai l’habitude bien ancrée de faire à ma tête même quand personne ne me suit, même quand personne n’est de mon avis. Je ne sais plus comment réagir quand le monde change autour de moi et que soudainement tout le monde fait ce qui me passionnait, moi (oui bon je n’étais pas seule à faire de la photo, mais on parlait quand même jadis d’une minorité de passionnés!), au quotidien et comme si de rien n’était. C’est nono, je sais. Mais dans la dilution, dans l’abondance et le foisonnement, on perd quelque chose aussi. L’authenticité? Nah, le mot est bien trop fort. L’effort? Y a de ça, sûrement. Je n’ai pas encore pu mettre le doigt dessus. Mais j’ai enlevé mon doigt du déclencheur en même temps. Et c’est une perte nette, pour moi. Une erreur, donc, à redresser. Voilà pourquoi, alors que je le faisais peu auparavant, je vous offre maintenant des billets en photos, comme ça, de temps en temps.
C’est l’automne profond, qui se grisaille. Celui des teintes fanées, celui de l’annuelle mort douce, celui des textures. Et c’est ce genre d’image que je préfère bien souvent: en nuances, en abstraction ou presque, en détail. Pas des images choc, mais des images à savourer. Avec lenteur.
Teintes fanées, ai-je écrit? Pas pour le géranium. Divisé l’an dernier, il a fleuri tout l’été… et fleurit mon automne, à sa façon.
Ça, c’est le travail de l’Homme et d’un autre homme qui nous aime. Ça, c’est de la chaleur pour le bébé à venir, et de la sécurité pour l’hiver. Vous voyez une photo de texture, moi je vois ça, mais aussi beaucoup d’amour et d’effort derrière.
Ah, nous y voilà, à mes chères textures. Je vous emmène faire un tour au potager, encore une fois. Avec le maïs, j’ai peu de succès (mais j’y mets peu d’effort, aussi, disons-le). Mais je m’en fiche: je croque avec les yeux le résultat au lieu d’avec les dents.
Les tournesols, je les aime. Verts et naissants, jaunes et resplendissants, gris et bruns vieillissants.
Sur celui-là bien des oiseaux sont déjà passés. Et en passant, mon potager ils ont engraissé!
J’aime la décrépitude en image. Le moisi, le ruiné, le déchu. Même si ici je regrette d’avoir oublié de bien enrober mon choufleur pour le manger, blanc et beau. Mea culpa.
Un piment oublié. Sur deux. C’est mieux que d’habitude! Où et comment ils se cachent quand je récolte, ce n’est pas sorcier: sous le feuillage. Mais c’est pas grave: la récolte a été bonne encore cette année. Appelons ça un sacrifice à la déesse du potager!
La ciboulette à l’ail, un incontournable visuel et gustatif depuis que j’en ai.
Mais le vert persiste, vous savez, résistant encore et toujours à l’envahisseur. Ci-dessus la menthe poire et ci-dessous le persil. Une vivace et un plant de l’année, qui partira en graines l’an prochain.
Il y a encore l’absinthe, qui s’est écrasée dans toute sa splendeur.
Et la coriandre, que j’ai re-semée à la fin de l’été. Et le persil plat, qui partira aussi en graines l’an prochain (ah mais avant que les tiges ne durcissent, on mangera ses feuilles tôt en saison!).
Il y a encore les épinards, dont on pourra profiter une dernière fois. J’ai voulu un potager renouvelé pour l’automne, mais une chose bousculant une autre, j’ai fini par m’y prendre tard, très tard, et par ne rien protéger. L’intention, au potager, n’est vraiment pas ce qui compte. L’action seule parle, mais encore faut-il la précéder de planification.
Voici qu’un de mes plants de pâtisson révèle ses épines, sa nature profonde.
Et que les tomatilles prennent l’humidité, accumulant les gouttes dans leur enveloppe dorée, fanée. Non, je ne fais pas le ménage du potager à l’automne. Ou enfin, pas toujours. Ce sera du travail de plus au printemps, bien sûr, mais on fait ce qu’on peut et on repousse la culpabilité. De toute façon le surplus de travail ne viendra pas de quelques voyages vers le tas de compost, mais du chiendent que je n’aurai pas encore délogé.
Les bébés asperges, qui grandissent chaque année.
Et l’autre bébé, qui n’en est plus un du tout.
Dans une des haies du potager, réservées aux pollinisatrices comme aux plaisirs des yeux et du nez, une échinacée…
… et des rudbeckies.
Les oeillets du potager, qui n’ont d’annuel, finalement, que le qualificatif que leur donne la jardinerie, puisque voilà quatre ans qu’ils fleurissent ici et qu’ils ont beaucoup profité d’être divisés.
Et dans une autre haie, les monardes…
.. et les verges d’or.
Et le feuillage déchu de mes pivoines chéries.
Les gousses vides et poilues des lupins.
Mêmes les plants de tomates sont toujours debouts.
Cette lumière blême. Celle des couchers de soleil hâtifs de l’après changement d’heure.
Et pourtant quelques touches de couleur vive, révélées.
Et des tons pastels, même, pour qui pense un instant à s’y arrêter.
La courbure gracieuse d’un cou qui ploie devant l’invévitable.
Et les grandes feuilles du ricin, qui se sont entortillées le long de la tige encore solide.
L’asclépiade a tardé à lancer ses semences, cette année. La puce et moi, par grand vent, lui donnons un coup de main en effeuillant sa soie.
Sans les feuilles de son érable, le grand nid des guêpes déjà défuntes est bien visible.
Semences de tabac.
Une autre saison bien remplie pour ma vaillante corde à linge.
La lumière qui s’enfuit…
… me donne l’idée de sortir le flash, l’instant d’un éclair.
Superbe. Ne te prive plus de ce plaisir sous prétexte que la facilité et l’instantanéité ont pris le dessus.
Ah t’en fais pas j’ai d’autres excuses aussi. 😉
Salut ma campagnarde préférée!
Un billet que j’ai savouré pour les photos, bien sur, mais aussi pour tes mots si bien choisis.
Entre autre bijou : « La courbure d’un cou qui ploie devant l’inévitable »… C’est très, très beau.
Un billet d’automne vraiment plaisant et apaisant.
Merci pour toutes ces beautés.
Louise 🙂
Merci, Louise!
Merci Hélène pour ces moments de contemplation.
Merci, Lyne. Les plaisirs oubliés, parfois… faut y revenir. Et je sens que j’en ai laissé tomber plusieurs le long des chemins…
Beau.
Salut!
Merci pour le voyage en photo dans ton potager automnal et un peu plus.
Chacun sa façon hein avec les photo! Les miennes sont devenues mes repères depuis le numérique et le tourbillon autour de moi.
L’appareil jamais trop loin me permet de saisir ce que je ne veux pas oublier, ce que je veux conserver comme info, d’avoir un suivit photo des plantes au potager et sur le terrain. Et quand j’ai l’opportunité de poser un des miens en action, occupé et qu’il ou elle ne sait pas que je suis entrain de l’immortaliser, je trouve que j’obtiens les plus beaux résultats au « naturel » (à tout le moins ceux que moi j’apprécie le plus!)
Merci encore pour ce beau voyage au coeur de ton automne 🙂
Je comprends pour les repères (la plupart des gens font maintenant comme toi, même si c’est avec leur repas au resto, etc.)… mais moi chaque photo (et encore seulement jpg, même pas raw), fait presque 8 Mo… et je peux facilement prendre 230 photos en un ou deux jours. Parce que je continue jusqu’à ce que ça soit ce que je vois. C’est moins de la documentation que de la passion. Ou du moins ça aspire à de l’art plus qu’à de la mémoire.
Par contre mon ancien tout petit appareil va bientôt reprendre du service et lui servira davantage à ça… entre autres. Mais voilà, côté documentation j’ai même pas les disques durs que ça prendrait pour avoir plus de deux ans à la fois, donc pour ce que je veux conserver comme info et ce que je ne veux pas oublier, c’est et ça restera le journal de la maison.