Quand j’étais petite, à part les oiseaux de basse-cour, je connaissais les oies sauvages et les corneilles. Le reste, pas tant que ça, de visu. Même que je me suis trouvée pas mal bonne, en 2000-quelque à Montréal, identifier un chardonneret. Ben oui. Tsé, la tache jaune vif qui se promène sur le fil électrique de la ruelle. Une vraie Sherlock Holmes, vous voyez. Et puis le premier geai bleu que j’ai vu et identifié comme tel, c’était au Biodôme (il n’y en a plus là depuis) et je l’ai reconnu à cause de Blabla des Contes de la forêt verte («CAtastrophe CAtastrophe! DEmandez-les-nouvelles!»). Oui vous pouvez rire: c’est toujours permis, rire de moi.
Ah mais, depuis qu’on vit à la campagne, je me suis bien améliorée, j’ose l’affirmer. Même qu’en retombant sur ces photos, prises à Anticosti en 2001, au lieu de me gratter la tête comme à l’époque, je me suis dit Ben… c’est pas un mésangeai, ça? Et oui: c’est bien un mésangeai du Canada (Perisoreus canadensis, grey jay).
Sauf qu’ici, franchement, un mésangeai qui mange des craquelins de blé concassé… je n’en ai pas encore vu! Ce matin-là en 2001, nous en étions à notre premier réveil du coté sud de l’île. La veille, nous l’avions traversée du nord au sud, sous une tempête épouvantable. Les côtes du côté nord étaient battues par la mer, les feuillus ployaient, et il était facile de comprendre comment autant de naufrages ont pu se produire là. Je me souviens qu’une fois la tente montée (par moi) de manière à la garder sèche, l’Homme n’avait pas encore réussi à allumer un feu (chose rarissime déjà à cette époque). Je me souviens que nous nous étions réfugiés dans la cabine du camion de location pour nous extasier devant ses capacités de chauffage. Le lendemain matin, ciel bleu zébré de pygargues, mer calme, et visiteur éhonté!
Car oui, si je me souviens bien, il était seul, notre copain mésangeai. Et insistant. Et j’avais beau ne pas le connaître et ne pas m’y connaître, quand la faune veut m’approcher et que ça me coûte seulement quelques craquelins… j’obtempère!
Ici en Mauricie, j’ai vu quelques mésangeais. Un ici sur le terrain, et un à quelques kilomètres, perché dans un arbre près d’une cabane à sucre. C’était mon premier (je le croyais!) alors je m’en souviens bien. Pourtant tout ce temps j’avais les photos de celui-ci!
Quand on le voit perché, on ne peut pas se tromper, ça ressemble bien à un geai (et quand on voit ces arbres on sait qu’on est sur la Côte-Nord!):
Bon. J’apprends ici un truc fascinant mais assez raide à lire pour une moman:
Entre l’âge de 55 et de 65 jours, les jeunes se battent de plus en plus, et l’un d’entre eux réussit finalement à expulser ses anciens camarades de nid du territoire natal. Désormais, le juvénile dominant (un mâle dans les deux tiers des cas) accompagnera seul ses parents pendant l’été, l’automne et l’hiver suivant sa première année. Quant aux oiseaux éjectés (dont la majorité sont des femelles), ils partent rapidement, et certains réussissent à se raccrocher à des couples non apparentés, en particulier ceux qui ont échoué dans leur propre nidification cette année-là. La plupart des juvéniles éjectés n’ont pas cette chance, cependant. Quatre-vingts pour cent d’entre eux meurent d’ici leur premier automne, contre seulement 50 pour cent des juvéniles dominants qui restent avec leurs parents et profitent de leur exemple et de leur protection.
Les Mésangeais non reproducteurs qui survivent restent sur leur territoire natal ou d’adoption, et l’utilisent comme base sécuritaire à partir de laquelle ils explorent les territoires environnants pour trouver une nouvelle vacance parmi la population reproductrice du voisinage. Quand ils en trouvent une, ils déménagent rapidement et remplacent les reproducteurs qui les ont précédés. Les partenaires accouplés restent sur le même territoire toute leur vie. Lorsque l’un d’entre eux meurt, il est rapidement remplacé par un autre oiseau de la population non reproductrice locale.
Ah, mais les survivant(e)s sont des durs de durs! À preuve (même source):
Fait remarquable, partout où il est présent, même dans l’extrême Nord ou à proximité de la limite forestière des plus hautes montagnes, le Mésangeai est un résident permanent. Toute l’année, les couples occupent un territoire de 65 à 70 hectares, qu’ils partagent souvent avec un geai supplémentaire non reproducteur, qui est habituellement l’un de leurs jeunes de la nichée précédente. Les adultes détenteurs d’un territoire ne migrent pas, même sur de courtes distances, et les rares déplacements parfois signalés en automne dans le sud de l’aire de reproduction concernent probablement de jeunes oiseaux qui n’ont pas encore acquis leur propre territoire.
Étant donné que presque tous les Mésangeais restent au même endroit et n’ont pas à affronter les périls des longues migrations annuelles, ils vivent souvent très longtemps pour de si petits oiseaux. Les individus détenteurs d’un territoire ont une durée de vie moyenne de 8 ans, et certains geais atteignent l’âge de 15 ou 16 ans. Plus remarquable encore, parmi les quelques décès qui surviennent chaque année parmi les Mésangeais détenteurs d’un territoire, la plupart se produisent en été (probablement à cause de faucons migrateurs comme les Faucons émerillons et les Éperviers bruns). Aussi étonnant que cela puisse être, les longs hivers nordiques ne posent apparemment aucun problème pour les Mésangeais!
Anticosti, vous me demandez? Faut y aller. Faut payer le prix, faire l’effort, prendre Air Inuit et voir ça. Vraiment. Ça vaut tout ce que vous pouvez imaginer. Un territoire aux brousses encore vierges, à même le Québec. Et faut protéger aussi, s’indigner et s’enrager, le dire, et agir. Un joyau. Je connais plein de gens qui voyagent partout dans le monde et oublient de voir leur propre pays. N’en voient pas l’intérêt. Du dépaysement, vous en trouverez, à Anticosti. Et bien d’autres choses et notions encore. J’espère y retourner un jour. Avec mes enfants, idéalement. D’ici là, il faut aller appuyer sa candidature comme patrimoine mondial de l’Unesco!